On vous la fait courte. La fille sur les photos, c'est Lucie. Nous, on est sa famille. Elle n'est pas vraiment du genre à se mettre en avant, mais elle apprend parce que là, elle a vraiment besoin d'un coup de pouce. Début 2023, elle kiffe sa vie de danseuse pour une troupe de hip-hop. Elle chante pour un artiste de musique traditionnelle gabonaise et joue du piano, son instrument d'enfance perdu, et tout juste retrouvé. Elle se découvre une âme d'artiste, des barrières sautent et c'est beau. Un beau jour, elle a l'immense plaisir de contracter une forme de paludisme sévère, qui ne la fait clairement pas passer loin, comme dirait l'autre. Un petit tour de 3 semaines dans le coma, pas son meilleur voyage. Une souffrance innommable pour elle et insupportable à voir, diagnostics dramatiques des médecins, seaux de larmes de son entourage. A son réveil, entre 2 phases de délire post-coma, elle doit dire au revoir à ses pieds... et quelques semaines plus tard, à ses mains. Le matin de ses 42 printemps, elle se réveille avec un corps tout neuf. A apprivoiser. A montrer, à expliquer à ses 3 enfants de 16, 12 et 5 ans. Bam, du jour au lendemain, sa vie change de cap. La voilà catapultée dans le monde des handicapés, des "moins-valides". La splendeur du mot. Bref, plus question de danser sur les tables (en même temps, c'est pas vraiment son délire...). Et autant dire que le confort pour les personnes dans sa situation, c'est comme chercher une aiguille dans une botte de foin (ou dans un tas de prothèses entre 30 000 et plus de 100 000 euros). Alors entre 2 séances de rééducation, Lucie se laisse convaincre de lancer une cagnotte en ligne et se fait aider sur les réseaux. Contre toute attente, ça marche. C'est fou, et elle n'en revient pas. Après un an de dépendance, elle va par exemple enfin pouvoir conduire sa nouvelle voiture, assez grande pour pouvoir caler un fauteuil, et automatique. Parce que la boîte de vitesse, c'est dans la longue liste des trucs qu'il faut oublier. Reset ! Elle peut aussi s'autoriser à acheter du matériel pour transformer son domicile en cocon un peu plus docile. Parce que comme elle le dit, quand on est dépendant à ce point, même sa propre maison peut devenir hostile. La rééducation, c'est long. Ca met face aux impossibles, et ça fait aussi naître l'espoir. L'espoir de reprendre le cours de la vie, même différemment. Se mettre debout chaque matin, même dans les moments de détresse. Avoir plein de trucs en tête, comme remonter sur la piste de danse sans oser rêver à refaire du piano, mais courir à nouveau, et même essayer de nouvelles choses comme parler devant une caméra... La suite, personne ne la connaît. La vie est assez surprenante pour ne plus rien prévoir.
Merci du fond du cœur à ceux qui la soutiennent financièrement pour espérer des prothèses dignes, et à ceux qui ne peuvent pas aider de cette manière mais qui lui envoient des ondes positives.
Un texte que Lucie a adressé à son corps, suite à une demande qui lui a été faite : "J’ai rechigné à faire cette lettre, puis il y a eu cette sourde impression que j’ai rechigné car elle était nécessaire. Les larmes me viennent alors que je ne sais pas encore concrètement ce que j’ai à te dire. Mais l’énergie que je ressens est une énergie de gratitude et de demande de pardon. Pendant tant d’années, j’ai exigé tant de toi. J’ai exigé de toi, tout ce pour quoi tu n’étais pas conçu. J’ai ordonné en toutes circonstances tes qualités de persévérance, de force, d’abnégation, de dévouement total, même si parfois tu essayais de me faire comprendre que ce n’était pas la bonne direction. Je t’ai nié, je t’ai ignoré, je n’ai pas écouté les messages que tu m’envoyais. Je ne savais pas, cher corps, que tu étais là pour bien autre chose. J’ai détourné ton utilité tout comme j’ai détourné la mienne. Le peu que je sais aujourd’hui est une montagne par rapport à ce gouffre d’ignorance dans lequel je baignais à notre sujet. Je t’ai compressé, contorsionné de la même manière que je me suis compressée et contorsionnée. Pour plaire aux autres, pour être la performeuse dans tout. Le couple, le boulot, le sport, les projets, les épreuves, tous les challenges que la vie semblait m’envoyer, dont je ne voyais que la surface. Je découvre, et je comprends depuis si peu de temps que tu n’étais pas qu’un véhicule. J’ai cherché tant de fois à l’extérieur des alliés, une boussole pour être bien, pour évoluer. Alors que tu étais là, avec ta magie intérieure, et ton pouvoir de guérison. J’ai envie de te demander pardon aujourd’hui et de te dire merci pour tout ce que tu as enduré en silence, si longtemps avant que je ne comprenne. Pendant ces années, j’ai voulu corriger tous tes petits défauts, toutes les imperfections que je croyais voir. Pensant à travers cela, acheter le regard des autres, ou garder un homme. C’est maintenant que tu as mis un coup de sabre dans nos pieds et nos mains, que je ne t’ai jamais trouvé aussi parfait dans tout ce que tu es et que je ne t’ai jamais autant estimé. À travers ce que nous vivons depuis un an, et ce handicap si lourd d’un certain point de vue, tu m’as comme réveillée, tu as consenti à ce sacrifice pour me réveiller du mien, celui que je m’imposais depuis tant d’années. Tu m’as redirigée sur une voie inconnue, la mienne, mais pour laquelle je sais désormais que tu es mon plus grand guide."